
Jean-Pierre Charbonneau
L’auteur est président du Mouvement démocratie nouvelle (MDN)
Le Devoir, 9 mai 2023 –
« On est à l’étape que le projet de réforme du mode de scrutin devienne une réalité. » Cette déclaration est celle du premier ministre François Legault, telle qu’elle a été prononcée il y a très exactement cinq ans aujourd’hui. « Le statu quo vient nourrir le cynisme », ajouta-t-il avec conviction, à l’occasion d’un rendez-vous qui devait marquer le début de la fin de notre système électoral désuet et injuste.
En effet, le 9 mai 2018, l’Assemblée nationale connaissait un moment historique. Tous les chefs des partis de l’opposition — Jean-François Lisée, du Parti québécois, Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, et François Legault, de la CAQ — étaient réunis dans un rare moment d’unité pour prendre ensemble un engagement commun : si l’un d’entre eux gagnait les prochaines élections, il allait réparer avec l’aide des autres notre système électoral brisé. François Legault adhérait alors sans compromis à cette volonté, partagée depuis fort longtemps, notons-le, par une majorité de Québécoises et de Québécois. Il promettait en quelque sorte de terminer l’oeuvre inachevée de René Lévesque.
Sous les projecteurs et devant les caméras de l’Assemblée nationale, tous les chefs présents, en compagnie du chef du Parti vert, signèrent une entente dont les termes étaient on ne peut plus clairs : la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales, inspiré des systèmes électoraux allemands et écossais, le tout à temps pour les élections de 2022.
L’histoire était en marche, pensait-on. Comment aurait-on pu s’imaginer alors que l’un d’entre eux allait renier cette promesse, signé de sa main propre, au coeur même de la maison du peuple ? Nous n’avions aucune raison d’envisager cela.
Depuis 2016, après que la CAQ avait rouvert le débat clos par les libéraux de Jean Charest en 2008, le Mouvement démocratie nouvelle (MDN) menait des consultations et des travaux transpartisans un peu partout au Québec, auxquels ont participé activement les actuels ministres du gouvernement Benoit Charette, Simon Jolin-Barrette et Bernard Drainville. À l’époque, ils étaient tous pour une réforme électorale. À plusieurs reprises pendant la campagne électorale de 2018, François Legault réitéra son engagement. En 2019, son gouvernement déposa un projet de loi pour concrétiser sa promesse et accorda au MDN deux subventions totalisant 350 000 $ pour soutenir la réforme. De bonne foi, nous avons cru François Legault. Nous ne pouvions pas nous douter de sa future trahison.
Plus encore. Le 8 octobre 2020, les députés de l’Assemblée nationale ont voté pour l’adoption du « principe » du projet de loi déposé par la CAQ. Il s’agit de l’étape importante du processus législatif qu’on appelle la « deuxième lecture ». Ce jour-là, au Salon bleu, plus de 60 députés actuels de la CAQ ont voté « pour » le principe du projet de loi et donc pour la réforme électorale promise. Parmi ceux-ci, l’actuel ministre responsable des Institutions démocratiques, Jean-François Roberge, et le premier ministre lui-même. On ne pouvait pas envisager alors que ce parti-là renierait un an plus tard, dans un revirement spectaculaire et « boute pour boute », son engagement à doter le Québec d’une démocratie plus juste, plus moderne, plus en phase avec les attentes citoyennes réclamant que les élus fassent la politique autrement.
La décision du premier ministre d’abandonner la réforme électorale tomba la veille de Noël 2021, par un simple appel téléphonique de l’un de ses apparatchiks. Comme l’affirme Jean-François Lisée dans les pages du Devoir du 26 avril dernier : « Son reniement sur le mode de scrutin est certes le plus spectaculaire, les raisons invoquées devenant de plus en plus minables avec le temps. » Le premier ministre sabota lui-même sa propre loi et ce qui aurait pu être un legs important (trouvez-en un autre…). Ses convictions étant devenues trop encombrantes au regard de ses intérêts partisans, il a fait ce qu’il avait juré de ne jamais faire !
En 2018, il voulait incarner le « changement ». Cinq ans plus tard, François Legault incarne plus que jamais le statu quo, c’est-à-dire le cynisme, l’arrogance et la partisanerie à outrance. Si on essaie de trouver un peu d’espoir dans ce fiasco historique que constituent avec le recul les événements du 9 mai 2018, notons que le mépris d’un monarque élu tout puissant qui gouverne sans partage, à la petite semaine, renforce chaque jour notre conviction qu’une réforme électorale est plus que nécessaire et qu’il est urgent de nous réapproprier notre démocratie, comme bien d’autres sociétés occidentales l’ont fait depuis la fin du XIXe siècle.
À sa façon, cinq ans après sa signature de l’entente du 9 mai 2018, le premier ministre continue de militer pour une réforme électorale.